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A demi Mot
19 février 2014

Déclin d'une nuit éternelle

L'automne s'installait dans mon inspiration quand je suis tombée sur cette proposition ouverte à tous. Un concours de nouvelles. Novembre 2013. 

48 heures pour se laisser tenter par le mot "pouvoir" et rédiger 10000 caractères espaces compris, une histoire à presque dormir debout. L'idée était plaisante mais réveiller une plume qui ronfle, ça, c'était une autre histoire. Bien sûr le but n'était pas de gagner. Bien sûr le but n'était pas de viser la dernière place non plus. Disons que, remettre quelques-uns de mes mots à des lecteurs avertis, me permettaient de jauger ma plume, aussi fainéante puisse-t-elle être. 

Depuis ? Après 48 heures d'écriture, l'hiver s'est confortablement installé sur ma plume. Elle hiberne bien au chaud, lotie au fin fond du silence que je dorlote. Les semaines et mois ont passé. La nouvelle mise en forme a fait son petit bonhomme de chemin, loin de sa source. Là-bas, chez Edilivre.

Depuis ? Entre temps, j'ai appris que 1415 plumes s'étaient prêtées au jeu. C'est dire comme le but s'est encore plus affiné. Il fallait peaufiner l'humilité, donner un bon coup de cirage à la fierté, faire entendre raison à l'ego en quelque sorte... Le préparer à recevoir un avis qui n'allait peut-être pas faire rougir la satisfaction mais plutôt faire taire la prétention. Tout du moins, là s'est installée une grande part de mon travail durant les semaines d'attente ..... Et d'oubli. Car je dois bien l'admettre, lorsque j'ai reçu un email m'invitant à découvrir les résultats, j'avais "zappé" qu'une nouvelle écrite par mes soins, se baladait ailleurs que dans mon ordinateur. Et oui, une plume qui ronfle, ça distrait, ça assourdit, ça peuple la mémoire d'indifférence.

Découvrir les résultats ? Une proposition logique me direz-vous. Mais tout à coup, je me suis surprise envahie de panique. Avant de cliquer sur le lien qui devait me mener à leur appréciation, il me fallut me rappeler où j'avais bien pu ranger l'humilité peaufinée, la fierté bien cirée, et l'ego désaltéré. N'ayant pas reçu d'email personnalisé, il était évident que je n'avais pas gagné l'édition de mon manuscrit (que je n'avais pas en tiroir, ni même conçu d’ailleurs), ni gagné de fournitures Clairefontaine pour désengourdir ma plume. Ma nouvelle était de toute évidence classée. A moi de la retrouver. 

Aïe ! Une fois le lien cliqué, je découvre que 1415 participations ne pourraient être classées. Seuls les 600 premiers avaient donc eu cette chance. A voir la longue liste de titres de nouvelles, j'ai abandonné l'idée d'aller chercher la mienne. Pourquoi ? Pour tout vous dire, d'une part il n'y avait aucune chance qu'elle y apparaisse, parce que dans ma vie je n'avais tenté qu'une seule fois d'écrire une nouvelle. D'autre part, parce que j'ai plus d'atomes crochus avec la poésie. Et parce que comme d'habitude, j'avais de toute façon fait du hors sujet à mon sens. Le mot pouvoir peut inspirer nombre de sujets. Personnellement, je n'en avais pas choisi un spécialement. J'avais opté pour le plaisir de relever le défi d'écrire en 48 heures plutôt que le plaisir de développer le sujet principal. Et puis s’entendre dire que tu ne fais pas partie des 600 premiers ou pire : que tu fais partie des 815 derniers, et bien ego désaltéré ou pas, je n’avais pas si soif que cela.

J'ai donc fermé cette longue page colorée pour m'adonner à mes occupations, entre autre celle de ne pas faire trop de bruit, tout au plus chuchoter quelques mots afin de ne surtout pas réveiller ou déranger ma plume ronflante. 

Depuis ma participation à ce concours chez Edilivre, je reçois régulièrement des emails informatifs. Parfois je les ouvre, parfois ils restent fermés et s’engouffrent dans les 15 GO d’espace que me confère l’hébergeur. Jusqu’au jour où je reçois un email titré « Vous avez été sélectionné ! Participez au recueil du Concours 48 heures pour écrire ». La curiosité est un de mes plus vilains défauts. J’ai donc ouvert pour découvrir que finalement ma désinvolture et ma lâcheté m’auront encore une fois induite en erreur. Le message commençait ainsi :

« Suite au Concours "48 heures pour écrire", Edilivre souhaite publier un recueil de nouvelles regroupant les 100 meilleurs textes de l’événement.

Aux vues de la qualité de vos écrits, nous vous avons sélectionné et vous proposons donc de participer à la création de ce recueil de nouvelles. »

100 premiers ? Hein ? Ni une ni deux, me voilà à la recherche de cette longue liste des 600 pour aller vérifier. Inutile de vous dire que j’ai oublié au passage d’explorer où j'avais bien pu ranger l'humilité peaufinée, la fierté bien cirée, et l'ego désaltéré. Il ne me fallut alors que peu de temps pour découvrir que « Déclin d’une nuit éternelle » se trouvait à la 33ème place. Oups. Dans un tel moment, tout se mélange. La confusion, le plaisir, la satisfaction, le doute, l’incertitude. Et forcément, on se demande s’ils ont vraiment bien lu ^^.

J’avoue que je lui avais souhaité bonne route à cette nouvelle tout en étant persuadée qu’elle n’irait pas très loin ou encore qu’elle se perdrait en chemin. Qui plus est, j’avais reçu cette longue liste de 600 telle une déception de ne pas avoir de ses nouvelles à la nouvelle. Et puis aujourd’hui me voilà sortie du silence. Je la sais calée dans 36 ko de l’ordinateur d’un imprimeur. Prête à faire un autre chemin.

Et puis s’en est suivi un autre raisonnement. Son berceau est encore chez moi. Son berceau ne devrait-il pas être placé sur ce blog ? Lieu où viennent se retrouver des lecteurs et poètes que j’apprécie de lire et avec lesquels j’échange quand ma plume daigne bien se lever.

C’est donc loin de l'humilité peaufinée, la fierté bien cirée, et l'ego désaltéré que je viens vous dire : punaise ! 33ème vindiou ! C’est d’la balle ! (sourire).

Alors si dessous vous trouverez l’objet de mes tourments et plaisirs. Mais aussi l’objet de ma prise de conscience :

Une plume ne saurait mieux dormir que lorsqu’elle est lue. 

livres

Déclin d'une nuit éternelle 

 

18 h 17

Le temps se joue de moi. Le temps fait des points de suspension au-dessus de la page. Le temps se fraye inlassablement un chemin entre mes mots et la pluie. Entre les jours et les nuits. Ça caille. J’ai froid. Mon corps prend des airs de saltimbanque immobile.  Il hurle en sourdine et je n’ai plus rien pour le calmer. Même la faim a lâché l’affaire. La douleur sèche. La douleur se travestit et ça sent comme un parfum d’abandon dans la pièce. Oui ça sent l’abandon, ça sent l’erreur de trop, ça sent l’indigence. Ça sent le geste qui se brise en mille éclats contre le silence. Le geste aux bras tombés, ballants, éreintés. Ça sent la démission du corps. Ça empeste l’oubli d’avoir des rêves à bâtir. Ça pue la paralysie.

Encore une nuit qui se pare. Encore une qui s’apprête. L’orgueil ricane dans la nuit. Il ajuste son port de tête. Il toise. L’orgueil défie la dignité quand tu es à poil, nu comme un vers bancal, un alexandrin écorché.  Combien d’orgueilleuses défileront avant que se lève un jour nouveau ? Combien de nuits devrai-je traverser avant d’atteindre un oasis, un virage, un point lumineux ? Ça fait des jours et des nuits dépossédés que je suis là. Que j’ai usé jusqu’à la moelle, les questions, les souvenirs, les silences, les bruits venus d’ailleurs. L’attente. Des nuits sans jours que l’absence me déroute, me plonge dans l’évidence. Que la peur a eu gain de cause sur mes pas. Qu’elle me grignote les os, le sang, la voix.

Et s’entrechoquent mes pensées. Elles se heurtent aux battements de cœur qui martèlent mes tempes. Mon esprit fait des virées, d’une seconde à l’autre, d’un rythme à l’autre. Mon esprit fait les cent pas et je sombre. Mes pensées dépassent l’entendement. Elles se heurtent au simple fait qui me pend au nez : la mort. Je crois que je deviens fou.

*******

 20 h 03 (1 jour plus tard).

J’ai bien tenté de faire le compte. Mais rien n’y fait. Tout s’emmêle. Tout se confine à la ressemblance, aux répétitions. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Je sais l’épuisement des cris. Je sais les secondes qui tombent. Je sais le dépouillement. Je sais la peur. Je sais l’impuissance et l’étouffement. Je sais l’abattement. Mais je ne sais plus me rappeler le temps qui passe. Alors j’écris. Pour notifier les nuits. Pour consigner ce qui reste de moi. Ce qui reste de ma raison. Ecrire tiendra la chandelle pendant que ma vie sera en tête à tête avec ma mort. Parce que je vais vers la mort n’est-ce pas ? La fin fait le guet, là. Sans fenêtre ni chuchotements. Sans tendresse ni secours. La fin se lie à la solitude, sans contrepartie ni chantage. Elle attend mes derniers mots, un dernier signe. 

Il me faut un instant à rattraper. Un souvenir à élaborer pour échapper à la victoire de l’oubli.  Il me faut un regard, un visage à cultiver. Comme celui de ma mère. Oui ! Celui de ma mère. Et puis ses bras. Et puis son odeur. Et puis ses cheveux dorés, défaits et chatoyants déployés sur mon cou quand elle effleurait mon front de mots et de murmures.  Son image assise au bord du vide menaçant. La même image collectionnée dans mon enfance quand les fantômes se cachaient sous mon lit. Celle-là même qui faisait fuir mes cauchemars en pleine nuit. Elle maîtrisait l’art de tricoter des rêves avec lesquels elle me bordait, me réchauffait le cœur et les chagrins. A la maison il n’y avait jamais de fins de mois déshonorantes. Nous grignotions notre réalité chocolatée à l’abri des bourrasques. Dans des dessins animés dissimulés sous des éclats de rire. Elle aurait pu être une enfant, ma mère. Une enfant joueuse. Une enfant sage. Une enfant secrète. Une enfant triste. Parce que loin de nos jeux, quand le calme impressionnait l’ambiance, qui savait lire dans les pensées pouvait déceler en ses yeux tout le poids d’un monde malheureux. On y devinait la brume, l’isolement, le renoncement. Il suffisait qu’elle regarde le mutisme pour saisir des bribes de son histoire. Celle qu’elle avait mal écrite. Celle qu’elle n’avait jamais finie. Des chapitres raturés, cornés, recollés mais jamais aboutis.

Il me faut un visage à cultiver oui. Celui de cette femme aux yeux meurtris par la vie et les hommes. Ce dos courbé au moindre coup de vent et de sonnette. Car elle avait peur ma mère. Peur de l’inconnu. Peur des huissiers. Peur du lendemain. Elle fuyait la chute, pendant que seul le passé la terrorisait. Mais jamais devant moi. Non jamais devant moi. 

J’ai mis des années à découvrir la misère. A interpréter ses silences. A surprendre ses soupirs. Des années englouties dans l’illusion. A croire en ses sourires. A l’entendre me répéter que la vie est belle. Que rien n’est grave. Qu’il y a toujours pire ailleurs. Ce fut à l’âge de mes quatorze ans que tout s’est effondré. Quand en rentrant du collège, je lui annonçais mon passage en seconde accompagné d’un bulletin pédantesque. Mes professeurs l’encourageaient vivement à m’inscrire dans une école privée. Mes résultats étaient prometteurs. J’adorais le français. J’impressionnais mon prof de maths. Mais voilà, mes fréquentations contrariaient mon évolution et mon intelligence. Ils me percevaient tel un être influençable. Est-ce à ce moment-là que je compris tout le sens du mot « pouvoir» ? Fut-ce dans le simple fait que tous ces adultes aient pu m’imaginer fragile et victime ou fut-ce dans l’aveu dégringolant de ma mère qui craquait pour la seule et unique fois devant moi ? Fut-ce dans le désespoir ou dans l’ironie du sort que ses mots atteignirent ma poitrine tel un coup de poing fracassant ? Abattue, à genoux, à mes pieds, elle gémissait de douleur, le bulletin telle une frontière dressée entre ses larmes et les convulsions de ses mains. Elle pleurait, elle bafouillait qu’elle n’avait pas les moyens de m’offrir une telle école. Ni même un avenir. Ni même des études. Toute notre vie s’appuyait sur des sacrifices défaillants. Sa voix anémiée ne badinait plus, ne racontait plus d’histoires, elle traduisait le vide incommensurable de son ventre. Ma mère cédait, se défaisait, se décousait. Elle abdiquait.

Deux jours plus tard, j’entérinais l’absence chronique de mon père.  Je brisais l’abandon. Je désertais l’école. Je devenais un homme. Je braquais une épicerie. Je nourrissais ma mère.

******

19 h 37 (1 jour plus tard)

La force se retire. Aujourd’hui fut un jour de plus, un jour de trop. Dormir s’apparente à des malaises, à l’évanouissement du souffle. La plaie s’affirme. Si je ne sais plus compter le temps, ce dernier m’est compté. Je le sais. La douleur s’enivre de mon passé. Du temps où l’argent convertissait mes plus viles pensées. Du temps où l’argent achetait le silence et soudoyait la raison. Du temps où l’apparence ornée d’or et de cabriolet ouvrait toutes portes, des plus petites aux plus protocolaires.

Oh maman ! Tu disais qu’il y avait toujours pire ailleurs. Mais le pire nous rejoint toujours un jour. Qu’y-a-t-il de pire que ces années de sacrifices pour nourrir ton fils de vivres et de fables? Qu’y-a-t-il de pire qu’une vie défigurée par les manquements ? Qu’un écrivain jamais né aux poèmes tachés de regrets et de fautes d’orthographe ? Qu’une agonie lancinante qui ronge les secondes et les restes d’un corps mourant ? Qu’y a-t-il de pire que d’avoir le pouvoir d’acheter des châteaux en Espagne sans avoir la clé pour ouvrir cette porte qui me séquestre ? Qu’y-a-t-il de pire que de t’avoir couverte d’or sans jamais avoir su te protéger de la peur et de mes démons ? Qu’y-a-t-il de pire que de n’avoir que la poussière à bouffer, des nuits à vaincre sans tes bras et la soie de tes cheveux comme réconfort ? Qu’y-a-t-il de pire que d’avoir quarante ans sans sa mère ? Qu’y-a-t-il de pire que d’espérer une main tendue, même celle d’un flic pour sauver la dignité d’un corps ? Que d’avoir la solitude et la mort comme compagnes ? Qui a-t-il de pire que de finir seul ?

 

**********

La sonnerie du téléphone se faisait insistante, quand Valérie reposa les copies sur la table basse. C’était Marc, son collègue.  Elle décrocha le ton penaud.

-        Oui allo.

-        Ah enfin ! Tu en as mis du temps ! Tu ne réponds jamais quand on sonne à ta porte ?

-        Désolée, j’avais les écouteurs.

-        Ouvre-moi, je suis devant chez toi. J’ai du nouveau.

La porte d’entrée s’ouvrit sur un jeune homme longiligne. Si le timbre de sa voix ne lui avait donné tellement d’assurance, on aurait pu le croire malingre tant sa carrure désobéissait à la prestance et à son grade d’inspecteur.  Il lui tendit une chemise organisée de documents, en entonnant fièrement.

-        Tu peux arrêter de te creuser la tête à lire ces écrits. On a eu le résultat des analyses de sang et des empreintes. Le mec n’est autre que Sergio Moncci. Soupçonné de quatre braquages, dont un pour lequel il a plongé. Sorti de quinze ans de prison il y a six mois, il vivait chez sa mère aux dernières nouvelles. On n’a jamais retrouvé le pognon, mais il a dégusté en tôle. Le hangar abandonné où on a trouvé les notes et le sang, appartient à un gars véreux avec lequel il a partagé sa cellule pendant trois ans. Pour sûr, il doit s’agir d’un règlement de compte. Enquête bouclée pour terminer l’année en beauté.

-        Tu veux dire que ce mec qui me fait pleurer depuis trois jours et deux nuits, qui m’a plongée dans quatre-vingt pages de déclin, de dernières heures et de mort n’est autre que Sergio Moncci !? Et merde ! Merde !

Elle jeta les documents sur la table et s’effondra sur le canapé. Marc la dévisageait interloqué et rajouta :

-        Je ne comprends pas ! Les indices parlent d’eux-mêmes ! Ses écrits, l’agonie, le sang. Ce mec est mort. Il ne fera plus de dégâts. Et un de moins ! Pourquoi tu te mets dans cet état ? Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?

-        Marc ! Lâche-moi cette autosuffisance qui bafoue ton cerveau ! Oublie ton ambition et ta prétention d’avoir résolu une enquête ! Tu n’as aucun pouvoir entre les mains ! Aucun ! Le seul pouvoir qui me saute aux yeux, est celui des mots ! Le pouvoir de ses mots ! Qu’est-ce qu’il me faut de plus ?!

Son corps ! Trouve-moi son corps ! 

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